Concernant Miriama Rajaoalisoa, celle-ci avait initialement prévu de poursuivre une carrière en Nanotechnologie après avoir eu son diplôme de licence à l’Université d’Antananarivo, Madagascar. Toutefois en 2015, un revirement inattendu : un cours de Neutrino donné par un scientifique a fait changer son avis. Rajaoalisoa était alors plus attirée par les particules insaisissables et fantomatiques. Pour la scientifique, « c’était le moment où je décidais de faire la Physique des particules expérimentales », rapporte-t-elle.
Ce ne sera pas facile. En effet, il n’y avait pas eu d’expérimentations en neutrino à Madagascar et se familiariser avec les expériences y relatives ainsi qu’avec les physiciens œuvrant en la matière dans les autres pays s’avéraient difficile.
Certes, Madagascar dispose de l’accès à l’internet à haut débit via le Système à Câble Sous-marin de l’Afrique de l’Est, mais le seul moyen pour les étudiants malagasy de se connecter se fait à l’aide de vieux ordinateurs du Cyber-café qui font pas mal de bruits, sans compter les interruptions par le délestage journalier.
Pourtant, Rajaoalisoa savait que ses rêves étaient encore réalisables. Cela est motivé par le fait d’avoir appris qu’un autre scientifique qui venait à son Université avait déjà fait le même parcours. C’est Laza Rakotondravohitra, un des cinq étudiants malagasy attendant la toute première École Africaine de Physique. Il avait décroché en premier le diplôme de doctorat en neutrino.
A l’heure actuelle, Rajaoalisoa est une doctorante et membre de l’Expérience DUNE ( International Deep Underground Neutrino Experiment) à l’Université de Cincinnati, et Rakotondravohitra, devenu physicien médical y travaille toujours pour accompagner les étudiants malagasy ayant choisi la filière Physique.
De Madagascar vers le Fermilab
Tout commençait avec l’École Africaine de Physique, un programme de trois semaines qui donne aux étudiants des cours théoriques, expérimentales et de Physiques appliquées. Rakotondravohitra était parmi les 59 étudiants qui fréquentaient pour la première fois l’École Africaine de Physique en Afrique du Sud en 2010.
Pour lui, le programme était à la fois une première expérience et un défi. A son Université d’origine, ses amis étudiants malagasy et lui, parlent en Français et en leur langue maternelle Malagasy en même temps alors que les professeurs à l’Ecole de Physique enseignaient en Anglais.
Ainsi, Rakotondravohitra a dû passer tous les soirs dans la salle informatique avec un de ses camarades pour suivre encore les cours en ligne et aussi pour s’assurer qu’ils les comprenaient. « Mais nous avons appris les choses très rapidement » dit-il. Fort heureusement, « La Physique reste la même pour toutes les langues » !
Après avoir eu son Masters en 2012, Rakotondravohitra était choisi en qualité de chercheur au Laboratoire Fermilab (Fermi National Accelerator Laboratory) du Département de l’énergie américain.
Sa candidature a en effet reçu le soutien des organisateurs de l’Ecole Africaine- Christine Darve, Kétévi Assamangan et leur équipe ainsi que le directeur adjoint du Fermilab, en la personne de Young-Kee Kim. « Je serai toujours reconnaissant du leadership à l’Ecole Africaine de Physique car ils m’ont ouvert des portes », dit Rakotondravohitra.
Pendant son séjour au Fermilab, il se logeait au campus du Fermilab et participait à l’expérience en neutrino MINERva sous la supervision d’un scientifique Fermilab appelé Jorge Morfín. Travailler au laboratoire était intimidant au départ, il dit. Puis il rencontrait David Martinez, un doctorant international colombien. Tous les deux, ils connaissaient les mêmes difficultés.
« C’était difficile pour nous quand nous étions arrivés » affirm Rakotondravohitra et « Nous ne savons même pas ce que nous n’avons pas compris ».
Ils étudiaient le volet théorique de Physique et contrairement à leurs collègues issus des Etats- Unis, ils n’avaient aucune expérience sur le plan pratique. En conséquence, ils étaient obligés d’apprendre comment faire fonctionner une simulation, faire une analyse des données et manipuler un détecteur.
Rakotondravohitra et consorts terminaient leur PhDs en 2015. Un de ses collègues de MINERva, Steve Dytman, à la fois Professeur à l’Université de Pittsburgh, allait même à Madagascar pour la soutenance de thèse de Rakotondravohitra.
Peu de temps après, Martinez allait à l’Institut Illinois de Technologie en Chicago comme étant un chercheur. Toutefois, celui-ci participait encore à l’expérience Fermilab. Rakotondravohitra, quant à lui, poursuivait ses études pour obtenir un autre diplôme avec la spécialisation en Physique médicale en Wayne State et à l’Université de Duke.
Aider les autres
Les deux scientifiques restaient en contact et décidaient de travailler ensemble pour venir en appui les étudiants comme eux.
En premier lieu, ils ont aidé les étudiants malagasy et colombiens pour trouver et faire une demande de bourse d’études aux Etats Unis. Force est de constater que les étudiants étaient brillants, pourtant aucune de leur demande n’a été acceptée.
Rakotondravohitra and Martinez ont réalisé alors très vite que l’ingrédient manquant était exactement ce qu’ils avaient obtenu durant leurs séjours de recherche : l’expérience !
Ils ont changé de stratégie en fournissant aux étudiants plus d’expériences. Martinez leur donnait des mini-projets en programmation et en physique de neutrino qu’ils peuvent faire à distance. « Les étudiants ont montré des remarquable enthousiasmes pour les recherches » dit Rakotondravohitra. « Ils ont toujours fini leur travail à temps ».
Avec ces expériences additionnelles, les étudiants n’étaient plus rejetés. Six étudiants malagasy et quatre étudiants colombiens ayant suivi la formation sont actuellement en cours de formation doctorale aux Etats-Unis et les autres poursuivent leurs études en Physique dans divers pays, comme le Japon et l’Inde.
Il faut dire qu’« Il y a beaucoup d’étudiants à Madagascar et dans d’autres pays africains qui sont très intéressés à poursuivre une carrière scientifique mais ils n’ont pas l’opportunité d’en avoir une » dit Manoa Andriamirado, un doctorant malagasy à l’ Institut Illinois de Technologie. « Ce que [Rakotondravohitra et Martinez] ont fait est vraiment important. Ils ont changé ma vie. »
Martinez, actuellement un Professeur assistant au Département de Physique de l’Ecole de Mines et Technologie du South Dakota, dit que voir les étudiants réussir lui a vraiment plu. « Je pense que la communauté scientifique commence à réaliser qu’il existe de nombreux talentueux provenant de ces régions .»
La première Institution africaine rejoint DUNE
Rakotondravohitra et Martinez facilitaient aussi, à leur manière, la participation des étudiants malagasy dans la recherche en neutrino.
En 2015, Rakotondravohitra contactait Roland Raboanary, son ancien Professeur de l’Université d’Antananarivo pour lui proposer de rejoindre le projet neutrino de Fermilab, DUNE- attaché à l’expérience auprès de l’installation longue base de neutrino.
Raboanary et Rakotondravohitra, avec les conseils de Martinez y déposaient leur demande cette année –là. Madagascar devient ainsi le premier pays africain se représentant au DUNE. « Nous sommes le seul pays africain pour le moment, mais nous espérons que d’autres rejoindront », dit Rakotondravohitra.
Lancé sur cet élan, Rakotondravohitra, qui travaille en tant que Physicien en radio-oncologie en Texas, est maintenant au cœur d’un grand nouveau projet : créer à Madagascar un laboratoire où les étudiants peuvent avoir accès aux ressources telles que des ordinateurs de bonne qualité avec une connexion internet fiable, pour les aider à faire leurs recherches.
En 2019, Dytman, le collègue de MINERva qui visitait l’alma mater de Rakotondravohitra lors de sa soutenance de thèse, travaillait avec Rakotondravohitra pour faire un don de 40 ordinateurs d’occasion de l’Université de Pittsburgh pour l’Université d’Antananarivo.
De nos jours, Rakotondravohitra, Dytman, Martinez ainsi que Fenompanirina Andrianala, un scientifique basé à l’Université d’Antananarivo et à la fois membre de DUNE, travaillent ensemble pour apporter plus d’équipement des Etats Unis vers Madagascar. L’équipe espère avoir un nouveau laboratoire opérationnel dans les deux prochaines années.
Rakotondravohitra estime que le nombre d’étudiants à Madagascar qui poursuivent avec succès leurs études en Physique des particules ne cesse d’augmenter.
« Le grand espoir est que chaque étudiant réussie et qu’ils aillent aussi aider d’autres étudiants, » dit-il. « Et tous les étudiants soient motivés de revenir à Madagascar un jour.